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Sortie d'avion pour un tandem au-dessus du ciel et de l'océan bleu

Vis un saut comme si tu y étais

L’arrivée

Le parking de Vendée Évasion est déjà bien rempli quand j’y gare ma voiture, les mains légèrement tremblantes sur le volant. 13h15. Je suis en avance, comme toujours quand je suis nerveux. À travers le pare-brise, j’observe les allées et venues : le staff qui va et vient, des familles excitées.

13h25. Je sors de la voiture, l’air marin des Sables d’Olonne me fouette le visage. C’est une belle journée de juin, quelques cumulus paressent dans le ciel bleu. Le genre de journée parfaite pour sauter d’un avion, paraît-il. Cette pensée me fait sourire nerveusement.

L’accueil est chaleureux. Hélène, avec son sourire bienveillant, me tend les documents administratifs à remplir. Dans la salle d’attente, d’autres « sautants » complètent leurs formulaires. Certains bavardent avec enthousiasme, d’autres, comme moi, restent silencieux, perdus dans leurs pensées.

Alex, le monteur vidéo, me fait un signe discret pendant qu’il prépare son matériel. « Tu vois là-bas ? » me glisse-t-il en désignant une silhouette sous une toile d’ombrage militaire. « C’est Henri, ton moniteur. On l’appelle ‘Le Meilleur’. » Je distingue une forme paisiblement endormie sur une chaise longue, sa casquette rabattue sur les yeux. Cette vision, étrangement, me rassure.

Le briefing commence sur la terrasse. Nous sommes dix-huit « sautants » répartis en trois groupes, chacun assigné à un avion différent. Au centre, une petite table basse en bois attire mon attention, son bois patiné par des années d’entraînement. Nous nous rassemblons tous autour tandis que Ludo, notre moniteur, commence ses explications : « En sortie d’avion, vous vous cambrez, comme une banane. La tête en arrière, les hanches en avant. »

Les démonstrations commencent. Étant dans le troisième avion, j’observe attentivement chaque sautant passer à son tour. Quand vient enfin le mien, je m’allonge sur le ventre, le bois dur sous mon corps, tentant de reproduire la position démontrée. « Cambrez comme une banane ! La tête en arrière, les hanches en avant ! »

Ludo passe près de moi, ajuste ma position avec patience. « Alors, tu as peur ? »
« Non ! »
« C’est normal, t’es sur une table ! » lance-t-il avec un clin d’œil. Son humour bien rodé fait son effet, déclenchant un fou rire général qui détend l’atmosphère.

La suite du briefing défile : les consignes de sécurité, la position d’atterrissage, les gestes à faire – ou plutôt à ne pas faire. Mon cerveau enregistre chaque détail, même si je sais qu’Henri, mon moniteur, gérera tout pendant le saut.

Les groupes partent les uns après les autres. J’observe Henri qui enchaîne les sauts. Deux fois je le vois atterrir, avec une précision fascinante. Une fois même directement dans la piscine à balles, provoquant des éclats de rire parmi les spectateurs. Sa maîtrise est impressionnante, rassurante.

Après son deuxième atterrissage, il revient vers moi, vérifiant mon harnais d’un geste expert. Les sangles se resserrent autour de mes cuisses, de ma poitrine, ajustées une à une, méthodiquement. Les lunettes bien en place sur mon visage, je me sens comme un astronaute avant le décollage.

« On y va ? » me demande-t-il simplement.

 

L’embarquement

Le Cessna attend sur le tarmac, petit avion blanc aux bandes bleues qui me semble soudain minuscule. Henri monte le premier, s’installe tout au fond. Je le suis, m’assois maladroitement sur le plancher métallique, comme il me l’indique. Devant moi, deux autres tandems s’installent, leurs voix étouffées par le vrombissement des hélices qui démarre.

L’avion roule, d’abord lentement, puis accélère sur la piste. Je regarde par le hublot le sol qui défile, de plus en plus vite. Le décollage me surprend par sa douceur. Henri tapote mon épaule, me montre du doigt l’altimètre à son poignet. 500 mètres… 1000 mètres… Le paysage se dévoile peu à peu : la côte vendéenne, l’océan qui scintille, les marais qui dessinent une mosaïque en contrebas.

2000 mètres… L’air se fait plus frais. Henri se rapproche, je sens qu’il resserre les sangles, nos harnais s’imbriquent. « Prêt ? » Je hoche la tête, la gorge nouée. 4000 mètres… La porte s’ouvre. Le vent s’engouffre dans la carlingue, mon cœur s’emballe. Nous avançons vers la porte ouverte, le vent rugit. L’océan brille 4000 mètres plus bas, minuscule patchwork de bleus cousus d’écume. Je glisse mes pieds au bord du vide, comme on me l’a appris.

 

 

La chute libre

« Position ! » La voix d’Henri perce le vacarme. Je me cambre en banane, la tête en arrière comme sur la table du briefing, sauf que cette fois, il n’y a plus de table. Juste le vide. Je sens son corps stable contre mon dos, ses mains qui agrippent fermement les montants de la porte.

« 3… » Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression qu’il va s’échapper de ma poitrine.
« 2… » Je fixe l’horizon, comme on me l’a conseillé.
« 1… »

Nous basculons.

Les premières secondes sont un chaos sensoriel total. Le monde tourbillonne, mon cerveau peine à comprendre ce qui lui arrive. Puis, comme par magie, tout se stabilise. Je suis en chute libre à 200 km/h, et étrangement, je me sens plus vivant que jamais.

Le vent n’est plus une agression mais une caresse puissante. Le sol, si loin en dessous, ne fait pas peur – il semble irréel, comme une carte postale géante. Je distingue la courbe gracieuse de la côte vendéenne, l’océan qui s’étend à l’infini, les îles qui pointent au large. Henri me fait signe, je lève le pouce. Je souris tellement que mes joues me font mal.

Cinquante secondes. C’est à la fois une éternité et un battement de cil. Le temps perd tout son sens dans cette dimension verticale. Je voudrais que ça ne s’arrête jamais.

Une secousse brutale me ramène à la réalité. Le parachute s’ouvre dans un claquement sec, me propulsant vers le haut. Le hurlement du vent laisse place à un silence presque irréel. Nous flottons maintenant, suspendus sous une voile bleue et blanche qui se découpe dans le ciel.

« Ça va ? » demande Henri. Sa voix est claire maintenant, presque douce. Je hoche la tête, encore étourdi par ce brusque changement de rythme. « Prends les commandes, » dit-il en guidant mes mains vers les poignées de direction. Je serre les manchettes de toile, émerveillé par la réactivité du parachute. Un petit mouvement à droite, et nous tournons. À gauche, et l’horizon bascule de l’autre côté.

Le monde s’offre à nous dans une lenteur majestueuse. Les Sables d’Olonne s’étalent comme une maquette détaillée, leurs toits rouges brillant sous le soleil. L’océan miroite de mille reflets, et je distingue même les sillages des bateaux qui dessinent des chemins d’écume sur le bleu profond.

Henri me laisse piloter un moment, puis reprend les commandes pour l’atterrissage. Le sol se rapproche, les détails deviennent plus nets. Je vois la zone d’atterrissage, les spectateurs qui nous attendent, minuscules points colorés sur l’herbe.

« Jambes levées ! » La voix d’Henri est ferme mais calme. Je remonte mes genoux comme on me l’a appris, le sol se précipite vers nous. Un virage final, parfaitement maîtrisé, et nous nous alignons face au vent.

Le monde reprend ses dimensions normales avec une rapidité déconcertante. L’herbe du terrain d’atterrissage devient distincte, je vois chaque brin onduler dans la brise. Les visages des spectateurs émergent de leur anonymat. Je reconnais même Alex qui filme notre arrivée.

Tout se passe en douceur. Nos pieds touchent le sol dans un léger trottinement, comme si nous descendions simplement une marche. Le parachute se pose derrière nous avec un bruissement soyeux. Mes jambes tremblent un peu quand je me redresse, mais pas de peur – d’excitation.

Henri me décroche du harnais pendant que la voile s’affaisse doucement sur l’herbe. « Alors ? » demande-t-il avec un sourire en coin. Je cherche mes mots, mais comment décrire l’indescriptible ? Comment raconter ces minutes hors du temps où j’ai volé comme un oiseau ?

Je me contente de sourire, le cœur encore dans les nuages.

Plus tard, assis à la terrasse de Vendée Evasion avec un café qui refroidit entre mes mains, je regarde les autres parachutistes atterrir. Leurs voiles colorées descendent du ciel comme des pétales portés par le vent. Je comprends maintenant leurs regards, ces sourires complices qu’ils échangent après chaque saut.

Mon cerveau repasse en boucle les images : l’attente fébrile dans l’avion, le basculement dans le vide, l’euphorie de la chute libre, la sérénité du vol sous voile. Chaque instant est gravé dans ma mémoire avec une netteté cristalline.

Henri passe près de ma table, pose une main sur mon épaule. « Alors, accro ? » Je souris, sachant déjà que ce premier saut ne sera pas le dernier. Comment revenir à la vie normale après avoir touché le ciel ? Comment se contenter de marcher quand on a appris à voler ?

Je lève les yeux vers le Cessna qui décolle à nouveau, minuscule point blanc dans le bleu du ciel. Mon cœur fait un bond. Je sais qu’il me rappellera bientôt, ce grand ciel vendéen. Et cette fois, je n’aurai plus peur – juste hâte de retrouver cette liberté absolue, cette sensation unique d’être vivant, intensément vivant.

Rédigé par Alex

Scribe

Mise à jour : 21 janvier 2025

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